Merci à RF pour cet article de décryptage ! Absence maladie et congés payés : l’amendement du gouvernement entre en scène, par Julien Tournaire et Florian Da Silva Barthélémy Avocats L’entracte autorisé par l’avis du Conseil d’Etat aura été de courte durée. Deux jours après ce dernier, l’amendement présenté par le Gouvernement est destiné à régler définitivement la situation. Le projet de loi d’adaptation au droit de l’Union Européenne dans lequel il s’insère sera examiné par l’Assemblée nationale du 18 au 20 mars. Julien Tournaire et Florian Da Silva, avocats associés de Barthélémy Avocats, nous livrent leur première analyse de cet amendement. Source : Amendement n° 44 au projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne déposé par le gouvernement le 15 mars 2024 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/amendements/2334/AN/44 La modification de l’article L. 3141-5 du code du travail L’article L. 3141-5 du code du travail liste les absences qui, par exception, sont assimilées à des périodes de travail effectif pour l’acquisition des droits à congés payés. Sous cette réserve, le droit français reste sur la logique d’une acquisition de congés en contrepartie d’un travail effectif. Ce principe d’acquisition est conforme aux règles du droit de l’Union Européenne. Pour preuve, pendant les périodes d’activité partielle le droit de l’Union Européenne n’impose pas l’acquisition de congés payés (alors que le droit français le permet). Actuellement, l’article L. 3141-5, 5° du Code du travail précise que « sont considérées comme périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé (…) les périodes, dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an, pendant lesquelles l’exécution du contrat de travail est suspendue pour cause d’accident du travail ou de maladie professionnelle ». Cet article est l’héritage d’une avancée sociale destinée à accorder un privilège aux accidentés du travail (loi 46-473 du 18 avril 1946). Le projet d’amendement prévoit de modifier et supprimer les termes « dans la limite d’une durée ininterrompue d’un an ». Cette limite ne sera plus. L’amendement tire la conséquence de la solution dégagée par la Cour de cassation dans ses arrêts du 13 septembre 2023, interprétant la directive Européenne 2003/88 à la lumière de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17638 FPBR). À l’avenir, en cas d’arrêt de travail lié à un accident du travail ou à une maladie professionnelle, l’acquisition des congés payés se poursuivra même au-delà d’un an. Enfin, il est ajouté un 7° à cet article, qui vise désormais l’accident et la maladie n’ayant pas un caractère professionnel. Une fois de plus, la solution dégagée par la Cour de cassation a été prise en compte (cass. soc. 13 septembre 2023, n° 22-17340 FPBR), du moins dans son principe. En situation de maladie non professionnelle, le salarié acquiert des congés payés. L’amendement ne fait aucune distinction entre la maladie indemnisée et celle qui ne l’est pas. La limitation à quatre semaines d’acquisition L’amendement propose d’ajouter un article L. 3141-5-1. Le droit de l’Union Européenne consacre un socle minimum à quatre semaines. C’est ce socle qui est repris lorsque le contrat de travail est suspendu pour accident ou maladie n’ayant pas un caractère professionnel. Ainsi, un salarié qui n’aura pas travaillé pendant toute une période de référence en raison d’un accident ou d’une maladie n’ayant pas un caractère professionnel, ne se verra attribuer que 4 semaines de congés payés, contre 5 semaines s’il avait travaillé. En effet, selon ce nouvel article L. 3141-5-1 du code du travail, l’acquisition est réalisée à raison de 2 jours de congé par mois. Exemple : un salarié absent pour maladie non professionnelle pendant 11 mois et présent pendant 1 mois au cours de la période d’acquisition bénéficiera de 26,5 jours de congés payés. Le sort de l’acquisition des congés payés pour les mois où un arrêt de travail ne couvre pas intégralement ledit mois n’est pas réglé et risque d’être source d’un vrai casse-tête pour la détermination du nombre de jours de congés payés acquis. La règle d’équivalence (4 semaines = 1 mois, 24 jours ouvrables = 1 mois, etc.) devrait trouver à s’appliquer dans nombre de cas. Pour adapter la réduction du nombre de jours de congés payés acquis en cas de maladie ou d’accident ayant un caractère non professionnel au calcul de l’indemnité de congés payés selon la règle du dixième, l’amendement prévoit, que ces périodes seront considérées comme ayant donné lieu à rémunération dans la limite de 80 %. Le salarié en arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle continuerait, lui, à acquérir des congés payés « normalement », à raison de 2,5 jours ouvrables par mois, le cas échéant à hauteur de cinq semaines (30 jours ouvrables) par an. Le report : l’ajout de trois nouveaux articles Trois articles feraient leur apparition dans le code du travail (L. 3141-19-1, L. 3141-19-2 et L. 3141-19-3) pour traiter de la question du report des congés payés non pris : le premier crée un mécanisme de report et un mécanisme d’extinction ; le deuxième règle la situation des congés acquis intégralement pendant un arrêt de travail ; le troisième est l’obligation qui pèse sur l’employeur pour que la période de report commence à courir. ❶ L’article L. 3141-19-1 consacre le principe du report des congés payés lorsque le salarié est dans l‘impossibilité, du fait d’un arrêt de travail pour accident ou maladie, professionnel ou non, de prendre des congés qu’il a acquis. La période de report serait de 15 mois. Il s’agit donc de la situation des jours acquis, et ne pouvant pas être pris du fait de l’arrêt de travail au cours de la période habituelle de prise de congés. Ces jours ne seront donc pas perdus immédiatement, mais s’éteindront au terme de la période de report de 15 mois. La période de report débutera lors de la reprise du travail par le salarié. Le point de départ précis est marqué par l’accomplissement de diligences que l’employeur effectuera par tout moyen : communiquer au salarié le nombre de jours de congés dont il dispose et la date jusqu’à laquelle ils peuvent être pris (art. L. 3141-19-3). Ces formalités devront être accomplies dans un délai de 10 jours à compter de la reprise du travail. ❷ Pour les congés payés acquis pendant l’arrêt de travail, l’article L. 3141-19-2 prévoit également un régime de report avec un mécanisme d’extinction des droits avec un point de départ du délai de report différent en fonction de la durée de la suspension pour maladie. Pour mémoire, même en cas de maladie, l’acquisition des congés payés sera de droit (voir plus haut). Si la suspension est inférieure à 1 an, le salarié bénéficiera d’une période de report (15 mois) à compter de sa reprise, selon la future règle de principe. Cette période de report débutera par l’accomplissement de diligences de l’employeur effectuées par tout moyen (voir ❶ ci-avant). Si le salarié est en arrêt de travail à la fin de la période d’acquisition depuis au moins un an, la période de report de 15 mois débutera à la fin de la période d’acquisition. Passé ce délai, les droits sont éteints, sans qu’il y ait besoin d’informer le salarié. Cette période de report courra pendant la suspension du contrat de travail, celle-ci se prolongeant par hypothèse. Toutefois, si le salarié reprend son travail pendant cette période de report, alors celle-ci sera suspendue jusqu’à l’accomplissement des formalités d’information du salarié sur ses droits, dans un délai de 10 jours à compter de sa reprise (voir ❶ ci-avant). ❸ L’article L. 3141-19-3 crée un mécanisme d’information individuelle du salarié, en plus de l’information collective préexistante en matière de congés payés. Il s’agit d’une information délivrée par tout moyen, portant sur le nombre de jours de congés dont le salarié dispose et la date jusqu’à laquelle les jours peuvent être pris. L’information devra être faite, selon l’amendement, dans les 10 jours qui suivent la reprise. Cette nouvelle information individuelle ne concernera que les salariés ayant fait l’objet d’un arrêt de travail et permettra de faire courir le point de départ de la période de report (quelle que soit l’origine de la maladie) : des congés payés acquis avant la maladie (et potentiellement acquis du fait de la maladie) mais ne pouvant pas être pris en raison de la maladie ; des congés payés acquis durant un arrêt maladie de moins d’un an ; des congés payés faisant l’objet d’un report si le salarié revient pendant cette même période de report. Il n’est pas exclu qu’à défaut d’information, la période de report ne puisse commencer à courir, impliquant que l’extinction des droits à congés payés ne serait jamais acquise passé le délai de 15 mois. Il en serait de même si le délai de 10 jours n’est pas respecté. A ce titre, il serait appréciable que le texte traite du défaut d’information dans le délai imparti, et ce d’autant plus que le délai peut s’avérer court, notamment pour les petites entreprises, dans certaines situations pratiques. La négociation collective Selon l’amendement un accord d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut une convention collective ou un accord de branche, peuvent se saisir de la durée du report, sans que cette durée puisse être inférieure à 15 mois. L’aménagement conventionnel n’est donc prévu qu’à la hausse. Si, en application d’une disposition légale, la durée du travail d’un salarié est décomptée à l’année, l’accord peut également s’emparer des modalités de rémunération des congés payés reportés, des conditions dans lesquelles ces reports peuvent être effectués, à la demande du salarié après accord de l’employeur, des conséquences de ces reports sur le respect des seuils annuels fixés au sixième alinéa de l’article L. 3121-44, au 3° du I de l’article L. 3121-64 et à l’article L. 3123-1. Ce report ne doit pas avoir pour effet de majorer ces seuils dans une proportion plus importante que celle correspondant à la durée ainsi reportée. La forclusion, ou la question des droits liés aux périodes allant de décembre 2009 à l’entrée en vigueur de la loi C’est peut-être le passage de l’amendement qui fera l’objet du plus de crispation. Le § II de l’amendement (qui ne sera pas codifié) prévoit que le mécanisme nouvellement crée d’acquisition des congés payés pendant la maladie, mais également de report, sera applicable pour la période courant du 1er décembre 2009 jusqu’à l’entrée de vigueur de la loi. Ainsi, un salarié qui aurait été absent pour maladie non professionnelle en 2010 pourrait réclamer le bénéfice de l’acquisition des congés payés pendant la maladie, dans la limite de 24 jours par période, après prise en compte des jours de congés déjà acquis. Le bénéfice de ces dispositions est soumis à une action judiciaire dans un délai de deux ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi, sans qu’il semble être possible d’opposer un délai de prescription. Si le salarié n’agit pas dans les deux ans, il ne pourra plus obtenir de droits pour les périodes antérieures à l’entrée en vigueur de la loi, sauf accord amiable avec son employeur. L’exposé sommaire de l’amendement exclut de ce régime de forclusion la situation des travailleurs dont le contrat de travail aura déjà été rompu à l’entrée en vigueur de la loi. Ils disposeraient d’une prescription de 3 ans pour agir (trois après la rupture du contrat de travail, pour les 3 années antérieures à la rupture). De fait, nombre d’anciens salariés seraient donc exclus de la possibilité de demander un rappel pour le passé. |
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